Une (re)découverte à la Galerie Pascal Polar à Bruxelles
Karl Waldmann et le constructivisme
On sait peu sur la vie de Karl Waldmann dont l'oeuvre fut connue après la chute du mur. Ses nombreux, intelligents et vigoureux collages acérés sont ici accompagnés d'oeuvres constructivistes russes.
La plupart signés "K.W." et non datés, ces collages et photomontages se situent dans les années 1915 à 1950-1960. En toute confidentialité, ils ont traversÉla révolution en Russie, la montée du nazisme, la Deuxième Guerre mondiale, les années de plomb du stalinisme... Leur auteur serait nÉdans les environs de Dresde (ex RDA) dans l'avant-dernière décennie du XIXe siècle et aurait disparu avec sa compagne russe vers 1958, dans un camp de travail en URSS.
En 1989, sur le fameux "marchÉdes Polonais" de Berlin, un journaliste passionnÉd'art découvre, parmi des porcelaines semblant issues d'un musée, tableaux, bibelots et boîtes de caviar, une chemise de carton brun. Elle contient quelques "papiers collés", d'inspiration constructiviste russe. S'y déchiffre une signature en initiales: K.W. Remarquant l'intérê t pour ces objets, le vendeur propose à ce journaliste de l'emmener dans un faubourg de Dresde pour en voir d'autres. Dans le coin d'un local, il repérera, entassées, de nombreuses oeuvres de Karl Waldmann. IntéressÉen prioritÉpar la vente de porcelaines, le vendeur n'y portait pas une réelle attention. InterrogÉsur l'artiste, il n'en dira pas grand chose, si ce n'est qu'il était un vieil oncle, ponctuÉd'un "Ach ya der Verrückt" et dont il décrira très brièvement la disparition avec sa femme, une artiste russe.
Dédale de sens
Aujourd'hui, près de neuf cents collages et photomontages de Karl Waldmann sont identifiés. Certains - les plus tardifs - sont signés en toutes lettres par cet artiste remarquable qui tout au long de sa vie, pour des raisons existentielles, mais aussi pour des raisons inhérentes à sa propre sécuritÉaurait refusÉd'exposer.
Depuis plusieurs années, Pascal Polar, galeriste, physicien et philosophe, passionnÉpar Karl Waldmann, montre ses oeuvres, les étudie, mène un minutieux travail de recherche dans le dédale infini de sens d'une oeuvre encore à explorer. "Certains parleront de "mystère" à propos de Karl Waldmann ou de certaines de ses oeuvres qui restent complètement énigmatiques par absence de texte ou de "signe" de l'auteur, moi je parlerais plutôt de "Roman" structurÉcomme un essai sur la folie du XXe siècle." Souhaitant d'abord dresser un "portrait robot" de l'esprit de l'artiste, Pascal Polar précise aussi, dans l'ouvrage publiÉpar le Musée Waldmann à Bruxelles : "Pour l'Historien ou le Conservateur soucieux du tissu biographique, je répondrais que nous avons les oeuvres et que l'intelligence consiste à les comprendre, à les admettre et à les montrer, mê me si cette compréhension reste partielle ou subjective tant que d'autres éléments biographiques ne viendront pas faire ressusciter l'artiste dans son identité."
Empreints de multiples sens et symboles encore à déchiffrer, diversifiés dans le fond plus que dans la forme, très réfléchis et construits, ces collages critiques et décapants ne se rattachent pas à un seul mouvement. Au départ de composition abstraite tout en affirmant leur individualisme, ils s'apparentent à ceux de Schwitters - qui résida à Dresde-, Rodtchenko ou Maïakovski. Puis, ils deviennent d'inspiration constructiviste, dadaïste, voire parfois surréaliste. L'artiste se consacre au photomontage dont on a attribuÉla paternitÉà Raoul Hausmann dès 1922. S'il est assurément un compagnon de route de la révolution d'Octobre et possède une connaissance approfondie des artistes russes qui l'ont rejoint, il ne se montre jamais "propagandiste", mais toujours observateur critique et dénonciateur.
Visages de femmes
Sur fond beige, opposant souvent le rouge et le noir, il découpe et colle photos, journaux, bouts de papier et documents d'époque. Pour dénoncer les folies racistes, totalitaires et sanguinaires du siècle passÉqui finiront par l'emporter. Lui et sa compagne. Leurs énigmes, secrets et mystères, s'ils en avaient.
Ses thèmes de prédilection: la femme en de multiples visages, "Chère Hannah" et Hottentote Vénus, actrice, icône moderne, "utilisée" tant par la propagande nazie que par le régime communiste, mais aussi soucieuse d'une "hygiène humaniste", porteuse des espoirs du socialisme; le juif et le noir, trop longtemps diabolisés et persécutés; la ville et la machine, modernes, envoûtantes et maléfiques; le cinéma de Fritz Lang et de Charlie Chaplin...
A l'étage de la belle galerie située à Saint-Gilles, non loin du Quartier Louise, une trentaine d'affiches issues de la collection Bodenschatz de Bâ le complète le propos engagÉpar l'exposition et les nombreuses invitations du Festival Europalia consacrÉà la Russie. A travers la propagande des membres du Goznak - la Monnaie Soviétique - , elles relatent un moment de l'histoire russe du siècle dernier. On peut y apprécier des affiches rares de Maïakovski, Malevitch et du Réalisme socialiste soviétique.