Claude Lorent
Newspeper Libre Belgique le 06/12/2005
Plus de 900 collages de style constructiviste d'un certain Karl Waldmann. Il serait Allemand, nÉà Dresde, décédÉen camp de travail en URSS. La découverte d'un artiste totalement inconnu est au XXe siècle un fait rare car cela signifie qu'aucune manifestation publique n'a permis de le connaître, qu'aucune trace ne subsiste, et que son entourage professionnel et familial est restÉmuet. A moins que l'artiste, par prudence, crainte ou autre raison très personnelle, n'ait lui-mê me organisÉle secret sur son travail, voire son identité. On peut envisager que cette hypothèse soit celle qui convienne au cas Waldmann.
L'histoire débute en 1989 quand un journaliste découvre à Berlin une farde de photomontages. Intéressé, il suit le vendeur à Dresde et découvre un lot impressionnant de collages attribués à K.W. Ce qui, selon le vendeur qui se dit l'oncle de l'artiste qualifiÉde "fou", signifierait Karl Waldmann. Les oeuvres sont de qualité, le prix plutôt dérisoire et l'affaire vaut donc la peine d'ê tre jouée. Aujourd'hui, le lieu et le vendeur sont introuvables.
Quelques oeuvres sont rapidement montrées mais il faut attendre près de dix ans pour qu'un galeriste s'intéresse à l'affaire et acquière bon nombre d'oeuvres. Pascal Polar, puisque c'est de lui qu'il s'agit, effectue quelques recherches mais sans grand succès. En fait, on ne dispose à ce jour d'aucune certitude. L'artiste serait nÉà Dresde entre 1880 et 1890 et il serait disparu, ainsi que sa femme, dans un camp de travail en URSS en 1958. On connaît évidemment la capacitÉde certains régimes à éradiquer des individus et tous les documents qui s'y rapportent. L'enquê te se poursuit et des historiens planchent sur le sujet. Quant à l'oeuvre, elle est abondante, riche et précise au niveau du sens, signée ou pas, sur papier d'époque et généralement non datée. Le plus troublant, vu les multiples ramifications culturelles, est qu'elle n'ait pas étÉne serait-ce que citée par un contemporain. La théorie de l'isolement total semble ê tre la seule à tenir la route. Avec le temps, des analyses approfondies apporteront certainement des réponses.
Collages
ConstituÉpresque exclusivement de collages réalisés à l'aide de photos et textes découpés dans des magazines, l'ensemble de l'oeuvre, soit plus de 1000 pièces, s'appuie sur des parentés évidentes avec le constructivisme russe, avec des formes de primitivisme, également de cubisme, avec le travail des collagistes de Dada voire des surréalistes. C'est dire qu'elle ne peut débuter qu'après 1912, voire 1915-18 quand l'usage se répand. La qualitÉde l'oeuvre, quoi qu'il en soit, est incontestable et se révèle singulière par son regard analytique et critique sur l'époque à laquelle elle se réfère.
Waldmann réalise ce que n'ont pu faire les Rodtchenko et autres Russes: critiquer le régime à travers le langage avant-gardiste. Sans doute parce qu'il était Allemand, ce qui l'engagea à poursuivre sur le mê me ton quand les nazis se manifestèrent.
A découvrir.
Karl Waldmann. Collages. Galerie Pascal Polar, 108 ch. de Charleroi, Bruxelles. Jusqu'au 4 février. Du me. au sa. de 14 à 19h. A lire : Karl Waldmann, 160 pp., 168 il. coul., éd. Galerie Pascal Polar.
A mettre en parallèle, l'oeuvre de Gustavs Klucis (1895-1938), artiste letton de tendance constructiviste, vivant à Moscou. InternÉen 1938 par Staline, il meurt en camp de travail. Exposition rétrospective au Musée d'art contemporain, 2, place du Châ teau, Strasbourg. Jusqu'au 26 fév. Web : www.musees-strasbourg.org